Claude-Emmanuelle Gajan-Maull | Interview | Le Temps Détruit Tout
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Claude-Emmanuelle Gajan-Maull est actrice et artiste plasticienne. Elle incarne Emmanuelle, la maman de Tito (Vince Galliot-Cumant) dans Climax. L'interview qui suit a été conduite par e-mail.


Connaissiez-vous déjà Gaspar Noé et sinon, avez-vous vu ses autres films depuis ?


Oui, quand j’étais encore aux Beaux-Arts, toute sa filmographie.


Comment vous êtes-vous retrouvée sur le tournage ?


Par la proposition de mon profil par des connaissances et il m’a aussi aperçu plusieurs fois dans Paris et puis finalement dans un Ball de Ballroom (voguing)


Comment Gaspar Noé vous a-t-il présenté le projet ?


Il m’a tout de suite parlé du rôle d’une maman cis [NdR : le terme “cis”, de “cisgenre”, définit une personne dont le genre social correspond au sexe assigné à la naissance.] qui aurait un enfant, et d’une maman qui du coup pourrait éventuellement être sous l’emprise de drogue dure sévère.

Le tournage semble avoir été éprouvant…


OUI c’est un fait, mais je pense pas qu’il l’était en lui-même car nous étions là exclusivement pour cela : logés nourris et blanchis. L’angoisse pour moi c’était plutôt en dehors… par exemple je me suis retrouvée SDF pendant et après le tournage, heureusement qu’ils ont été la pour me permettre de profiter d’une chambre d’hôtel et me soutenir moralement.


Comme dans ses films précédents, Gaspar mélange des prises de vue très mobiles et de longs plans fixes, parfois plus bavards : avez-vous improvisé de manière différente à chaque prise ou suivi une sorte de fil conducteur ?


[SPOILER] On a tourné plus au moins chronologiquement le film. Pour ma part ma seule scène fixe difficile a été  durant le one shot où je suis morte, on a filmé plusieurs alternatives, j’étais allongée dans du sang et dans le froid… c’était ma dernière scène. A la fin je n’arrivais pas à me lever ou bouger et j’ai pleuré sous le relâchement de toutes les émotions accumulées sur ces 15 jours de tournage.


Racontez-nous votre parcours


J’ai fait les Beaux-Arts, j’ai ensuite fuit ma ville natale pour pouvoir commencer ma vie… j’ai commencé ma transition (de genre) après un événement tragique. J’ai ensuite divagué sur différents jobs alimentaires et sur des missions ou propositions de casting. Jusqu’à celui de Gaspar où j’ai obtenu un second rôle important.

Je ne voulais surtout pas que l’on m’associe au casting catastrophique lié à ma transidentité  comme les fameux rôles de prostituées , d’usurpatrices ou de monstre. C’est pour cela que le rôle d’une maman cisgenre m’a particulièrement touchée car si je ne m’abuse c’est la première fois dans le cinéma français qu’une meuf trans joue le rôle d’une maman cis.


Quelle relation avez-vous entretenu avec Vince Galliot-Cumant (Tito) ? Quels liens avez-vous noué avec les autres membres de l’équipe ?


Vince aka Tito, c’est le fils que je ne pourrais jamais avoir de façon biologique, nous sommes toujours en contact et je me suis liée d’amitié avec ses parents. Nous avons vu plusieurs enfants au casting avec Gaspar et dès qu’il est arrivé j’ai senti que ce serait mon enfant.

Avec les autres membres de l’équipe, c’est simple j’en connaissais quelque uns avant le tournage mais en général le feeling est passé vraiment de façon fluide et agréable, des vrais enfants en colonie de vacances ahahaha.


Le film est vendu comme étant inspiré d’une histoire vraie. En savez-vous plus sur le fait divers d’origine ?


Bah pour ma part j’ai appris que c’était inspiré de fait réel le jour de la projection à Cannes ahahahha 


Vous avez accepté de tourner dans le film sans en connaître le synopsis… Votre choix aurait-il été différent si on vous avait expliqué votre personnage et son évolution ?


Oui au début, mais finalement j’aurais accepté, qui refuserait un projet avec Gaspar Noé ? Il m’a bien vendu le truc en me parlant d’Isabelle Adjani dans Possession : la scène où elle devient folle dans le métro que j’adore. J’étais séduite.


Racontez-nous votre meilleur souvenir du tournage


C’était pas pendant le tournage même puisque moi je l’ai vécu comme un job, mais je dirais que c’était dans la convivialité des lieux et de l’équipe en dehors du tournage surtout quand ils m’ont annoncé que je pourrais dormir à l’hôtel quand j’ai dû rendre mon appartement, j’étais tellement inquiète de me retrouver à la rue que c’était une libération…


Si Climax a eu bonne presse, il est paradoxalement exigeant envers le public. Quelle a été votre réaction lors de la toute première projection à Cannes ?


Je n’ai eu aucune réaction… vraiment puisque je n’ai pas pris de recul vis-à-vis du tournage… j’étais en train de me dire : « wouahh finalement tout colle à la perfection entre les scènes, nous sommes beaux et tout le monde a eu sa part de gâteau dans le film ». Puis en me retournant dans la salle et en remarquant les premières critiques du film, je ne l’imaginais pas interdit au moins de 16 ans ahahaha, ou qu’il soit si violent que cela.


Sur les réseaux sociaux, vous parlez de votre émotion et reconnaissance envers Gaspar Noé, de vous avoir donné un rôle de femme cis alors que vous êtes une femme trans. Si vous deviez donner quelques conseils aux jeunes personnes trans pour devenir acteurs.trices, quels seraient-ils ?


Qu’il y a des réalisateurs et des directeurs de castings qui les verront toujours que  comme des bêtes de foire et que parfois ne pas souligner sa transidentité peut faire pencher la balance dans votre sens lors de ces castings.

Nombre de fois où les rôles attitrés aux personnes trans sont associés à la prostitution ou à la monstruosité, à l’expérience… je me souviens sur un casting que je n’ai pas eu, avoir ce retour du réalisateur: « t’es trop avancée dans ta transition pour le rôle, moi je voulais une transsexuelle (déjà là c’est moyen au niveau du terme*) qui fasse homme, enfin travelo quoi »… en fait ces personnes ne comprennent pas que nos transitions ont surtout un rapport à la banalité de nos vies… du coup finalement  vaut mieux ne pas en parler, que ce soit pour des rôles trans ou pour des rôles cis, allez-y sûrs de vous. Etre trans n’est qu’un détail de ce que vous êtes et j’espère que votre vie ne tourne pas qu’autour de cela.

C’est important de se dire que c’est un casting pour vous, allez-y avec toutes vos compétences et votre professionnalisme, vous êtes aussi viable que la meuf qui fait du 34, blanche, blonde aux yeux bleus dans la fleur de sa 20aine. Vous, vous êtes sûrement mieux car pour arriver où vous en êtes vous vous êtes forcément battus.

Foncez.


*NdR, et corrections par Claude-Emmanuelle : Le terme de “transsexuelle” et les notions liées à la “transexualité” renvoient historiquement à une pathologie psychiatrisante et nécessitent (étymologiquement) la présence d’une opération de réassignation de genre orchestré par une équipe de médecins auto-proclamés experts sur le sujet. On préférera le terme de “transgenre” (ou “femme trans” si cette personne s’identifie au genre féminin et “homme trans” s’il s’identifie au genre masculin) qui renvoie à une identité de genre (et pas forcément à une expression de genre), sans la nécessité obligatoire d’effectuer des opérations de réassignation de genre, qui n’est en soit pas forcément une finalité pour toutes les personnes trans.


A Cannes, vous êtes apparue dans deux films : actrice dans Climax et figurante dans Un couteau dans le cœur de Yann Gonzales. Avez-vous une volonté de devenir comédienne et si oui, comment cette envie est-elle arrivée ?


Elle est arrivée un peu malgré moi, par les réseaux sociaux et le bouche à oreille… ce n’est pas un métier facile du côté monétaire, mais j’ai espoir qu’un agent me fasse confiance pour pouvoir en faire mon travail au quotidien et que je puisse du coup faire du cinéma et du théâtre en contrat indéterminée disons ahahahha .

En clair oui je rêve complètement de devenir actrice ou/et comédienne (intermittente du spectacle), mais aussi continuer mon travail d’artiste plasticienne, le modeling, continuer et trouver assez de courage pour publier mes sets de DJ afin de mixer en soirée,  ainsi que de l’activisme pour pouvoir donner une voix aux meuf trans et aux personnes concernées par les transidentités car de ce côté-là… on est late absolument partout en France .


Avez-vous tourné d’autres films ? Avec qui aimeriez-vous travailler un jour ?


J’ai joué dans un web-série cet été qui s’appelle «Les Engagés », j’ai fait un court-métrage avec Nicolas Medy qui s’appelle « Bientôt le feu » et je viens de rater un premier rôle dans la prochaine production de Martin Scorsese  qui s’appelle « Port Authority » ( je parle un anglais affreux) .

Je rêverais de tourner dans un Alejandro Jodorowsky, dans un Pedro Almodovar, dans un David Cronenberg, dans Sébastien Lifshitz, dans un Francis Ford et Sofia Coppola, dans un Romain Gavras, dans un Lars Von Trier,  dans un Xavier Dolan, dans un autre Yann Gonzales, dans un Luc Besson, avec les sœurs Wachowski, Ryan Murphy et bien sûr dans un autre Gaspar Noé.


S’ils lisent ceci, je suis prête à tout quitter ! Ahahahh


Si vous vous intéressez à l'actualité de Claude-Emmanuelle, vous pouvez la suivre sur son compte Instagram.


Nous remercions chaleureusement Claude-Emmanuelle pour sa gentillesse et sa disponibilité.


Propos recueillis par Alexis Veille.

Claude-Emmanuelle Gajan-Maull is an actress and plastic artist. She is Emmanuelle, the mother of Tito (Vince Galliot-Cumant) in Climax. The following interview was made by e-mail.


Did you already know Gaspar Noé, and otherwise, have you seen all of his movies since then?


Yes, when I was still [studying] Beaux-Arts, his whole filmography.


How did you get involved on the shooting?


My profile was offered by some acquaintances and [Gaspar] saw me a few times in Paris and then saw me in a voguing ballroom.


How did Gaspar Noé introduce you the project?


He immediatly told me about a cis mother [ed. : “cis”, from “cisgender”, describes a person whom social gender match with their assignated sex at birth] who would have a child, and a mother who might be under the influence of a severe, hard drug.

The shooting seems to have been trying…

YES that’s a fact, but I don’t think it was in itself because we were there exclusively for this: room and board. The anxiety came from the outside… For instance, I became homeless during and after the shooting, thankfully they were there to allow me  to enjoy a hotel room and to support me morally.


As in his previous movies, Gaspar mixes moving shots and long static shots, sometimes more chatty : did you improvise differently at each take or did you follow a kind of a common thread?

[SPOILER] We shot more or less chronogically. As for me, my only difficult static scene was the one shot in which I’m dead, we’ve shot a few alternatives, I was laying in blood and in the cold… It was my last scene. At the end, I couldn’t get up or move and I cried because of all the feelings accumulated during the last 15 days of shooting.


Tell us about your experience


I’ve studied Beaux-Arts, then ran away from my hometown to start my life… I’ve started my (gender) transition after a tragic event. I then wandered in a few jobs that payed the bills and on missions or casting offers. Until Gaspar’s where I’ve got an important supporting role. I didn’t want to be associated to a disastrous casting linked to my transidentity, like the renowned roles of prostitutes, usurpers or freaks. This is why I was particularly touched by the role of a cisgender mother because if I’m not mistaken, it’s the first time in a french movie that a trans woman has a role of a cis woman.


What relationship did you have with Vince Galliot-Cumant (Tito) ? What links did you establish with the other members of the cast and crew ?


Vince aka Tito, is the son I could never have in a biological way, we’re still in touch and I’ve made friends with his parents. We saw a few children with Gaspar during the casting and at the moment he arrived I felt that he would be my child.

With the other members of the crew, it’s simple : I knew some of them before the shooting but usually we got on well together, like children in a summer camp ahahaha.


The movie is advertised as “inspired by true events”. Do you know more about these events ?


Well, as for me, I’ve learnt it was inspired by true events the day it was screened in Cannes ahahahha .


You agreed to shot in the movie without knowing the plot… Would your choice be different if you were explained your character and her development?

Yes at first, but in the end I would have accepted, who would decline a project with  Gaspar Noé ? He properly sold the thing by talking of Isabelle Adjani in Possession : the scene I love in which she turns crazy in the subway. I was seduced.


Tell us about your best memory from the shooting


It was not during the shooting since I experienced it as a job, but I’d say it was the togetherness of the places and of the crew outside the shooting, especially when they told me I could sleep in the hotel when I had to leave my apartment. I was so worried to find myself being homeless that it was a release…


If Climax got good press, it’s paradoxically challenging towards the audience. How did you react at the very first screening in Cannes ?


I didn’t react…. For real, since I couldn’t take a step back towards the shooting… I was thinking “wow, actually everything fits perfectly between the scenes, we’re beautiful and everyone has a slice of the cake in the movie”. Then, going back to the theaters and noticing the first reviews, I didn’t expect it neither to be restricted under 16 nor to be that violent ahahaha.


On social networks, you talk about your feeling and gratefulness towards Gaspar Noé, for giving you a cis woman role while you’re a trans woman. If you had to give some advices to young trans people who want to become actors, what would they be?


That there are some filmmakers and casting directors who will always see them as freaks and that sometimes not highlighting your transidentity can tip the scales in your favor during those castings.

Countless of times, roles given to trans people are assimilated with prostitution, monstrosity, fantasy…. I remember on a casting [for which I didn’t got the part], hearing from the director : “you’re too far in your transition for the role, I wanted a transexual (here again, it could be a better term*) that looks like a man, well a tranny…”

Actually, those people don’t understand that our transitions are linked to our life’s ordinariness… so in the end, it’s better not to talk about it, wether it is for trans roles or cis roles, go ahead, self-confident. Being trans is just a detail of who your are and I hope that your life doesn’t only go around this.

It’s important to keep in mind it’s a casting for you, go with all of your skill and your professionalism, you’re just as viable as the skinny, white woman, blond-haired and blue-eyed in the prime of her life. You, you are probably better because to reach the point you’re now, you surely fought for it. Go ahead.


*ed (corrected by Claude-Emmanuelle) : The word “transsexual” and words linked to “transsexuality” refers historically to a psychiatrying pathology and needs (etymologically) a  gender reassignment surgery orchestrated by doctors self-proclaimed experts on the subject. The word “transgender” (or “trans woman” if it’s about a person identifying with feminine gender, and “trans man” when it’s with masculine gender) fits better because refers to a gender identity (and not necessarily to a gender expression), without the obligatory requirement to make gender reassignment surgeries, which is in itself not necessarily the aim for every trans people.


In Cannes, you appeared in two movies : actress in Climax and extra in Yann Gonzalez’s Knife + Heart. Are you willing to become an actress and if so, how did this desire happen?


It sort of happened despite myself, with social networks and word of mouth… it’s not an easy job on a financial point of view but hopefully an agent will be confident with me in order to make it my daily job and that I could play in movies and dramas in - let’s say a permanent contract ahahahha.

In plain language, yes I completely dream of becoming an actress or/and temporary show business worker, but also keeping my work of plastic artist, modeling, carrying on and find enough bravery to publish my DJ sets so that I mix in parties, as well as activism to give trans women and people concerned by transidentities a voice because on this side… we’re late absolutely everywhere in France.


Have you shot in other movies? Who would you like to work with?


I’ve played in a web series called Les Engagés (“The committed”) I’ve worked on a shortfilm by Nicolas Medy called Bientôt le feu (“Soon the fire”) and I just missed a first role in next Martin Scorsese’s production Port Authority (I speak an awful english).

I’d dream to shot in a movie by Alejandro Jodorowsky, Pedro Almodovar, David Cronenberg, Sébastien Liftshitz, Francis Ford and Sofia Coppola, Romain Gavras, Lars von Trier, Xavier Dolan, in another Yann Gonzalez, Luc Besson, Wachowski Sisters, Ryan Murphy and of course, in another Gaspar Noé.

If they read this, I’m ready to cancel everything ! Ahahahah


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We thank warmly Claude-Emmanuelle for her kindness and availability.

Interview by Alexis Veille.

Claude-Emmanuelle Gajan-Maull

Actrice

Actress

VEILLE, Alexis. Entretien avec Claude-Emmanuelle Gajan-Maull. Le Temps Détruit Tout [en ligne] Publié le 18 septembre 2018. Consultable sur l'adresse : http://www.letempsdetruittout.net/interviews/claude-emmanuelle-gajan-maull

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